Il savait que s’il franchissait cette porte, il ne pourrait plus revenir en arrière… plus jamais. Pourtant, une force inouïe l’habitait, qui décuplait sa foi en lui-même. Il en était intimement convaincu : il devait le faire.
Il tremblait légèrement quand il passait la porte du métro, alors envahi par la foule ; mais il savait que personne n’y prêtait attention, chacun étant obsédé par sa misérable vie. Il y avait un vieillard assis dans un coin, recroquevillé sur lui-même, les yeux fixés sur ses chaussures usées ; une jeune fille, aux jambes dénudées, qui pianotait frénétiquement sur son téléphone ; un gamin d’à peine six ans, les cheveux bruns bouclés et les yeux bleus océan, qui lui faisait penser à son petit frère resté à la maison. Ce gosse le fixait d’un regard insistant, un sourire aux lèvres. Il détourna instinctivement le regard, chassant l’image de ce petit garçon le plus loin possible de son esprit. Rien ni personne ne devait le détourner de son objectif.
Plus que cinq stations avant la délivrance.
Les murmures qu’il entendait sans cesse étaient encore plus forts à présent, ceux qui lui répétaient inlassablement que cette vie n’avait aucun sens, que son existence n’était rien et que seule sa mission avait de l’importance.
Plus que quatre.
Il se tenait debout pendant que le métro fonçait à toute vitesse vers sa destination finale. Des gens continuaient d’affluer dans le wagon et c’était ce qu’il souhaitait : plus ils seraient nombreux, plus le message qu’il devait faire passer aurait de l’impact.
Plus que trois.
Son but était noble, il en était convaincu, alors pourquoi des gouttes de transpiration commençaient à perler le long de ses tempes ? Pourquoi ses mains étaient moites et son coeur tambourinait dans sa poitrine ?
Plus que deux.
Il était trop tard pour se poser des questions. Le moment qu’il attendait tant allait enfin arriver. Tout ce pour quoi il luttait allait prendre forme de manière concrète. L’amour qu’il lui portait était plus fort que tout, bien plus encore que la vie ou la mort.
Plus qu’une.
Il y était presque, ceux qui lui avaient fait confiance seraient fiers de lui. Il ne désirait rien d’autre que d’être là, dans ce métro bondé et puant. Adressant une dernière prière muette à son Dieu, une larme coulait le long de sa joue, mais elle ne reflétait en aucun cas de la tristesse. C’était une larme de joie, qui symbolisait un accomplissement. Enfin, il allait être heureux.
Le métro ralentissait doucement pour entrer en gare. Les gens commençaient déjà à se presser contre les portes automatiques pour pouvoir sortir le plus rapidement possible, mais il ne regardait pas leurs visages, trop aveuglé par sa dévotion, galvanisé par la responsabilité qui lui avait été confiée, trop heureux de rejoindre ce paradis qu’on lui promettait depuis qu’il était venu au monde, il y a seize ans.
Il n’y avait aucune hésitation à avoir : il s’emparait fermement du détonateur et appuyait sans sourciller sur le bouton qui allait faire de lui un martyr… un héros.

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Ce mois-ci le thème de l’atelier d’écriture des Jolies Plumes était le suivant :
« Nous vous proposons la première phrase et nous laissons votre imagination et votre créativité faire le reste : « Il savait que s’il franchissait cette porte, il ne pourrait plus revenir en arrière ».
Le 22 mars 2016, on apprenait que la Belgique avait été victime de plusieurs attaques terroristes. Instinctivement, je me suis mise à écrire, essayant de me mettre dans la peau d’un de ces hommes, tentant de lire dans ses pensées. J’ai conscience que ce texte peut déranger voire choquer, car il aborde seulement le point de vue d’un terroriste. Ce n’est pas mon but, mais il s’est imposé de lui-même.
Vous êtes blogueur.se ? Rejoignez l’atelier ► latelierdesjoliesplumes@gmail.com ◄
Ce texte est bouleversant !
Tant par l’écriture sublime que l’histoire en elle même.
Ca m’a donné envie de vous rejoindre, d’écrire comme j’aime le faire !
Merci beaucoup pour ton commentaire 🙂 J’espère pouvoir te lire bientôt alors 😉
tu m’as donné l’envie de reprendre es jolies plumes que j’avais + ou – abandonnées depuis un bon bout de temps ! ce texte m’a émue et bouleversée, je l’ai trouvé splendide, et comme je te le disais, je ne m’attendais pas à cette chute, pr moi c’était un homme qui s’appretait à quitter son travail ou sa famille , qui ne voulait plus regarder en arrière et qui allait être victime de l’attentat, mais alors cette chute, c’est si beau ! c hyper bizarre de trouver ça beau d’ailleurs, mais vraiment, ton texte m’a énormément touchée et tu sais quoi, je suis bien contente de l’avoir lue !
Encore merci Dounia pour ce joli message ! Je suis aussi très contente que tu m’aies lue 🙂
J’ai lu ce texte rapidement dans la semaine et j’y reviens car il est très bien écrit, je ne me lasse pas. C’est intéressant d’écrire des textes chocs sur un sujet choquant et je me dit qu’hier cette autre personne dirigée vers un parc avec des familles heureuses avait les mêmes pensées.
J’essaie aussi d’exprimer mon avis sur le blog, de comprendre, de trouver comment agir.
Merci pour ton commentaire 🙂 En effet c’était très intéressant pour moi d’écrire ce texte, même si cela n’a pas été facile. J’ai vraiment dû me glisser dans la peau de quelqu’un, ou tout du moins essayer…
Salut ! Un petit commentaire pour te dire qu’évidemment ton texte est très bien écrit et qu’il est saisissant. Je me permets quand même de te faire part de mes ressentis.
On comprend tout de suite au premier paragraphe de quoi il s’agit. Et c’est dérangeant d’avoir choisi ce thème-là. Je me suis dit bon, elle va trouver un truc, elle veut faire croire qu’elle va parler de ça, mais au dernier moment il va s’agir d’autre chose. Et non, raté. Il s’agissait bien de ça. Je trouve ça dérangeant de choisir ce sujet là, parce que tu te mets dans la tête de ce mec et que tu essaies de le rendre sympathique.
Or, de mon point de vue, c’est un sujet où faut être ferme, ne pas essayer de comprendre, parce que dans un sens comprendre et se mettre à la place de, c’est un pas vers l’excuse. Or, il n’y a pas d’excuse à avoir envers la barbarie, et toujours de mon point de vue, ça serait bien de sentir que tout le monde fait front derrière cette idée. Et j’aurais aimé qu’il y ait au moins une note de condamnation dans ton texte, parce que c’est vraiment pas juste de laisser une part de gloire à ce genre de personnes.
Hormis cet aspect, t’as trouvé une façon très originale de traiter ce thème des jolies plumes, et tu l’as bien écrit comme tu as très bien su l’illustrer. Mais moi j’ai trouvé ça glaçant, parce que je trouve que ton texte est la marque du fait que ça rentre un peu trop facilement dans les moeurs cette situation, et qu’il ne faudrait pas, de mon point de vue, qu’on sente à ce point l’acceptation.
Bonjour ! Je n’ai qu’une chose à te dire, je comprends parfaitement ton point de vue, parce que moi aussi, j’ai eu ce sentiment. Mais tout simplement, j’étais « coincée » par l’intitulé du thème, qui me permettait seulement d’aborder le point de vue de cet individu. Et oui, absolument, c’est glaçant… parce que les personnes qui commettent de tels actes pensent servir une noble cause ; sinon pourquoi aller se faire sauter ? On ne parle pas de religion là, mais bien d’une secte où on te lobotomise le cerveau (si tu as remarqué mon personnage à 16 ans, ce sont souvent de très jeunes personnes envoyées en première ligne…). Bref, merci pour ton commentaire que j’accepte totalement, et encore une fois, que je comprends. 🙂
Bravo pour ce très beau texte sur un sujet aussi brûlant. Je trouve que tu donnes une certaine humanité à ce geste qui n’en à aucune. Il faut savoir que bien souvent les personnes qui commettent de tels actes sont murés dans un silence et une détermination incompréhensible.
Sincèrement, je n’ai pas décelé la fin, avant les dernières lignes.
C’est le premier texte que je lis et je suis conquise. Merci.
Tu as dit le bon mot, incompréhensible… Merci pour ton commentaire, qui me touche beaucoup.
C’était osé comme sujet, surtout en ce moment. Mais la vie est une prise de risques… Ici cela a marché ton texte est très bien écrit 🙂
Merci beaucoup 🙂