Mes yeux s’ouvrirent lentement, éblouis par la lumière du jour qui filtrait à travers les volets entrouverts. En tournant la tête vers le réveil posé sur l’étagère en bois accrochée sur le mur, je remarquai qu’il était déjà presque 8h30, alors que depuis quelques mois, j’étais réveillée chaque nuit à plusieurs reprises.
Cette nuit avait été plus paisible que toutes les autres… mais qu’en serait-il pour la journée qui débutait à peine ? Péniblement, je m’extirpai des draps chauds pour retrouver le contact glacial du sol en lino. Mais cette fois, je ne m’écroulai pas au sol, assaillie par les larmes : je relevai les épaules, respirai un grand coup et me dirigeai vers la cuisine pour faire couler un café noir. Pendant que le liquide se déversait dans une tasse décorée d’un énorme cœur, je tendis l’oreille pour écouter si quelques bruits s’échappaient du premier étage de la grande maison en pierre que j’occupais depuis cinq ans déjà. Et alors que je fermai les yeux pour tenter de me concentrer, je sentis mon chat Carotte se frotter contre mes jambes, ronronnant le plus fort possible, espérant enfin capter mon attention. Je baissai la tête, et esquissai même un sourire. Ce matou avait toujours été un glouton, et il n’attendait qu’une chose, recevoir sa portion de croquettes quotidienne. C’est ma fille qui avait choisi son nom, tout simplement parce que son pelage était roux, presque orange. Elle avait dit : « Ça va bien avec sa couleur de peau ! », ce qui n’avait pas manqué de nous faire rire son père et moi. Je secouai la tête, et avalai mon café d’une traite.
Je réfléchis un instant. Quoi faire maintenant ? En l’espace de neuf mois, j’avais l’impression d’avoir perdu tous mes repères. Je n’avais plus de notions de ce qui rythmait une journée dite « normale ». Je décidai de prendre une douche, et de laisser couler l’eau chaude sur mon corps endolori le plus longtemps possible.
Alors que j’enfilai une large chemise et un jean confortable, je sentis une présence juste derrière moi, sur le pas de la porte de la salle de bain entièrement carrelée de bleu. Je tournai la tête, pour découvrir mon mari qui m’observait, à la fois incrédule et plein d’espoir.
– Tu es debout ?
– On dirait…
Il soupira.
– Rien ne pouvait me faire plus plaisir mon amour.
– Je sais… Mais je ne sais pas si ça va durer.
Le silence s’installa quelques secondes, avant qu’il ne réponde :
– Je le sais aussi…
Il avança vers moi timidement pour me déposer un baiser au coin de la bouche, tandis que je prenais sa main pour la serrer aussi fort que possible. Ce contact me ramena en arrière, quand un homme habillé en blouse blanche était venu nous chercher tous les deux dans la salle d’attente de l’hôpital. Nos mains étaient entrelacées à s’en faire mal, pendant que nous attendions le verdict, la sentence…
– Les complications étaient trop sévères, nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir… Je suis désolé.
Désolé… que veux-dire ce mot quand tu apprends que ta fille de quatre ans est morte ? Quel poids a-t-il pour te réconforter quand tu comprends que tu n’entendras plus le son de sa voix, que tu ne la verras pas grandir, que tu n’as pas eu le temps de lui dire combien tu l’aimais ?
C’est à ce moment que mon corps s’est effondré sur le sol glacial de l’hôpital, comme tous les jours qui ont suivi, dans cette grande maison dénuée de vie…
Mais aujourd’hui, je ne me suis pas écroulée. Aujourd’hui, j’ai réussi à surmonter ma peine, le temps de quelques heures. Serait-ce ce qu’on appelle la fin d’un deuil, ou au contraire, son commencement ? Ce moment où la vie reprend son cours, où tu te lèves chaque matin pour aller travailler, où tu te laves, tu manges, tu dors, tu respires… en te sentant coupable d’être debout, les deux pieds bien ancrés dans le sol…
Aujourd’hui, est-ce que j’ai le droit de me sentir mieux, de me sentir bien ?
Ceci est ma dernière participation à l’atelier d’écriture des Jolies Plumes, sur le thème suivant :
« Retrouver – Qui ? Quoi ? Où ? Comment ? Votre personnage retrouve quelque chose, quelqu’un. Un lieu, un objet, une personne, un sentiment. Votre personnage revit une expérience oubliée. Racontez nous cette intrusion du passé dans le présent. Que cela provoque-t-il chez lui ? Que cela peut-il changer dans sa vie ? Le passé a-t-il la même résonance au présent ? »
Vous aimez écrire ? Rejoignez l’atelier des Jolies Plumes en envoyant un mail à l’adresse suivante : latelierdesjoliesplumes@gmail.com !
J ‘en ai les larmes aux yeux !! quelles superbe plume !! tu me touche!!!!!
Merci Arnaud 🙂 Je suis contente d’avoir pu toucher quelqu’un avec ce que je raconte.
Suuperbe! ! Il était trop beau ton texte. Pourquoi dernière participation si ce n’est pas trop indiscret?
Merci beaucoup 🙂 Je parle de « dernière participation » en tant que participation la plus récente 🙂 Je continue 😉
aah okay. Bon ben j’aurai l’occaz de lire d’autres trucs trop bien de toi alors ^^
J’espère bien ^^
Très émouvant, j’en ai moi aussi les larmes aux yeux. Une jolie écriture, très difficile j’imagine sur un sujet aussi douloureux.
Merci Violette 🙂 J’ai essayé de me mettre à la place de quelqu’un qui vit un tel drame… Et je suis certainement très loin de la réalité encore……
C’était un texte vraiment émouvant! Il est en plus très juste sans rentrer dans le pathos. Bravo!
Merci beaucoup ! Effectivement c’est souvent le risque quand on aborde ce genre de sujets… Je suis bien contente d’y avoir échappé 😉
J’aime beaucoup la pudeur et la douceur avec laquelle tu évoques le sujet, et je trouve ces quelques phrases extrémement bien choisies/faites/tournées, elles sont très belles et très vraies : « Mais aujourd’hui, je ne me suis pas écroulée. Aujourd’hui, j’ai réussi à surmonter ma peine, le temps de quelques heures. Serait-ce ce qu’on appelle la fin d’un deuil, ou au contraire, son commencement ? ».
Merci beaucoup pour ton commentaire… 🙂
Quel texte poignant! Je trouve que tu as bien cerné le sujet. Est-ce qu’on se remet vraiment d’un tel drame. Pas sûre. Mais doucement la vie reprend. C’est une évidence. On avance.
Bravo.
Merci Marie 🙂 On a pas le choix, il faut avancer…